Eugène Varlin (1839-1871) : une vie au service du peuple
Eugène Varlin est l’un des visages les plus lumineux et les plus tragiques de la Commune de Paris. Né le 5 octobre 1839 à Claye-Souilly, en Seine-et-Marne, dans une famille modeste de paysans, il se forme dès son plus jeune âge à la dureté du travail manuel. Très tôt, il devient ouvrier relieur, un métier exigeant mais qui lui laisse le temps de lire et de s’instruire. C’est dans ces années d’apprentissage qu’il forge ses premières convictions politiques : celles d’un socialisme profondément ancré dans la réalité des travailleurs.
Militant ouvrier et syndicaliste
Dès les années 1860, Eugène Varlin s’engage activement dans le mouvement ouvrier. Il est l’un des premiers membres de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), aussi appelée Première Internationale, fondée en 1864. Dans ce cadre, il milite pour la solidarité entre les ouvriers de tous les pays, pour de meilleures conditions de travail, et surtout pour l’auto-organisation du prolétariat.
En 1865, il contribue à fonder la caisse de secours mutuel des relieurs, un embryon de syndicat ouvrier, dans une France encore marquée par la répression du mouvement ouvrier. Il participe aussi à la création de coopératives ouvrières, comme la Marmite, une coopérative de restauration destinée à nourrir les travailleurs à prix réduit. Pour Varlin, il ne s’agit pas seulement de revendiquer : il faut construire dès maintenant les institutions d’un monde plus juste.
Un socialiste libertaire avant l’heure
Dans sa pensée politique, Varlin se distingue par sa méfiance envers le pouvoir centralisé, même celui exercé au nom du peuple. Il rejette l’autoritarisme, qu’il vienne de l’État bourgeois ou des tendances marxistes centralisatrices. À l’inverse, il défend une forme de socialisme fédéraliste, décentralisé, et autogéré, très proche des idées anarchistes. Il croit au pouvoir de l’éducation, de la coopération, de la solidarité concrète entre les travailleurs.
Varlin est également un féministe convaincu. Il soutient les revendications des femmes pour l’égalité sociale et politique, et reconnaît leur rôle central dans les luttes sociales. C’est un trait rare pour l’époque, et qui montre sa profonde cohérence humaniste.
La Commune de Paris (1871)
Lorsque la Commune de Paris éclate, en mars 1871, après la défaite contre la Prusse et l’effondrement du Second Empire, Eugène Varlin est naturellement l’un de ses animateurs les plus respectés. Élu membre de la Commune dans le IVe arrondissement, il est chargé des services publics puis de l’intendance militaire, tout en continuant à défendre inlassablement les droits des ouvriers.
Il tente, dans le chaos de la guerre civile, de maintenir la Commune fidèle à ses idéaux : démocratie directe, justice sociale, éducation gratuite et laïque, égalité femmes-hommes. Il refuse les violences inutiles, s’oppose à l’exécution des otages, et reste fidèle à ses principes jusqu’au bout.
Mort en martyr, mémoire vivante
Pendant la Semaine sanglante (21-28 mai 1871), lorsque Versailles écrase la Commune dans un bain de sang, Varlin refuse de fuir. Le 28 mai, alors qu’il tente de se replier avec les derniers combattants, il est capturé par les troupes versaillaises. Reconnu, il est battu, insulté, torturé publiquement, avant d’être fusillé sommairement, à l’âge de 31 ans. Il meurt dans la rue, comme tant d’autres communards, mais son nom, lui, ne disparaîtra pas.
Aujourd’hui, Eugène Varlin incarne un idéal de militantisme intègre, lucide et profondément humain. Il est le symbole d’un socialisme sans dogme, nourri par l’expérience, le travail, la solidarité. À travers les rues, les écoles ou les places qui portent son nom, il reste une figure inspirante pour tous ceux qui, encore aujourd’hui, rêvent d’une société plus juste, plus libre, plus fraternelle.